« Des dragons planent sur la montagne… prêts à nous peler à l’économe SOMIVAL, avant de nous passer tout verts au broyeur, puis de nous torréfier, de nous rebroyer en plus fin, puis de nous réagréger en de ridicules petits pellets hydrophobes, qui seraient vendus au loin… le tout au nom de la transition-énergétique-de-mon-cul-c’est-du-pellet-et-surtout-une-usine-à-fric. »
Il y aurait donc ce M.Gaudriot – déjà président d’une quinzaine de sociétés, ancien vice-président du Conseil Général de la Creuse condamné pour recel de favoritisme et prise illégale d’intérêts, impliqué au début des années 2000 avec Vinci et Bouygues dans le projet d’enfouissement de déchets nucléaires à Bure. Déjà tout un poème que ce financier qui dit s’intéresser à nous en investissant des millions d’euros dans l’extraction de la « biomasse » de nos territoires.
Il y aurait aussi le greenwashing organisé de Macron et de l’Europe, qui incitent les financiers et patrons (les mêmes qui sont responsables du désastre humain et écologique contemporain) à diversifier leurs sources de profit en investissant dans le capitalisme vert. Et peu importe que l’inefficacité de la biomasse comme alternative aux énergies fossiles ait déjà été démontrée en long et en travers, peu importe que les appels vibrants à préserver et reconstituer des forêts et des espaces sauvages se multiplient : il faut produire, et reproduire encore.
Il y aurait aussi les forêts du plateau, du Limousin, et au-delà. Ce drôle de mélange de champs d’arbres à cycle court, de forêts séculaires prodigues en champignons et en châtaignes, de forêts mélangées plus ou moins conduites pour fournir du bois adapté aux multiples usages locaux, et de terrains enfrichés où vient se réfugier ce qui ne peut pousser que loin des convoitises humaines, mais qu’on promet tout autant de passer au broyeur.
Il y aurait encore, au milieu de tout ça, quelques habitants de plus en plus sidérés par la multiplication des exploitants-prédateurs en quête d’opportunités d’investissement, de plus en plus effarés par l’autoritarisme avec lequel financiers, aménageurs et élus illuminés prétendent disposer de leurs espaces de vie, de plus en plus cernés par les ambitions de profits des quelques-uns qui viennent leur disputer l’usage et la destination de ce qui leur permet pourtant de garder un minimum d’autonomie dans le monde de la dépossession organisée.
C’en serait bientôt fini du bois de chauffage, et des chantiers en forêt avec les voisins, où l’on met de côté quelques stères pour les anciens du coin : car il faut acheter des pellets.
Fini le bois d’oeuvre, qu’on pouvait espérer transformer un jour en charpente ou en mobilier : de toute façon il était gélif, il sera mieux en pâte à papier.
Finies les terres pauvres de la montagne : de toute façon elles ont déjà subi la monoculture, alors autant enlever aussi les souches et branchages. On trouvera bien un engrais à acheter, et puis on pourra replanter… un nouveau champ d’arbres.
Fini le maquis : les forêts doivent être bien rangées pour faire passer les machines modernes, et les « friches issues de la déprise agricole » ne servent à rien.
Fini les espaces refuges pour espèces farouches : il faut faire de la place pour l’humanité en marche. Sur toute la planète, on a dit. Ça veut dire ici aussi. Et puis au fond, à quoi elles nous servent ces bestioles ?
À la place, il y aurait une usine « de chez nous », et sans doute bientôt plusieurs.
Il y aurait toujours plus de camions, prêts à livrer en « matières premières » les sites de transformation « locaux », ainsi que ceux du département d’à côté, ou à peine plus loin, en Europe de l’Ouest… ou du Centre… ou peut-être en Chine si le marché est là.
Il y aurait du bruit incessant et des fumées à nocivité réduite, des odeurs de pétrole brûlé et de bois torréfié, et des nouvelles technologies intelligentes qui égalent « presque » le muscle humain et la photosynthèse en termes de rendement.
Et puis les habitants pourraient aussi bien aller y travailler, à l’usine, ou dans les camions, ou derrières les engins, il y en a bien d’autres, d’ailleurs, des habitants, ailleurs, qui travaillent pour les fabriquer, ces camions et ces engins, et pour extraire des matières premières. Ici comme là-bas, il gagnent presque assez d’argent pour payer leurs courses, et parfois même leurs cadeaux de Noël. Et ils seraient presque heureux de faire leur part dans cette grande machine planétaire pilotée par d’autres, même s’il faut parfois crever un peu de faim ou de cancer ou de guerre parce que ceux qui pilotent n’arrivent pas à se mettre d’accord et voudraient tous tenir le manche à la place de leur concurrent de voisin. Et ils auraient presque oublié qu’on pouvait faire autrement pour se nourrir, se chauffer, s’entraider, et s’amuser. Ils auraient presque oublié que sous le monde de la marchandise, de la concurrence et de la consommation, subsistaient encore d’autres mondes, d’autres histoires, qui parlaient d’autonomie de subsistance et de lendemains qui chantent, de communes libres et de solidarité entre les peuples.
Tout est dans le presque : M.Gaudriot et ses semblables feraient bien de ne pas l’oublier, et de se dépêcher d’extraire un maximum de profit tout en vendant de l’illusion renouvelable, avant qu’une saine colère oubliée ne ressurgisse et ne se mette en tête d’aller les enfouir à Bure.